Lorsque l’on regarde ces enceintes, on ne peut être que très dubitatif sur ce qui est annoncé au départ : des HP ultra raides sous-traités par Audax pour les modèles les plus courants (dans la gamme télévision pour les tweeters, je suppose; les gros modèles ont tout de même droit à des HP de bonne construction dans le bas) et des accessoires plutôt exotiques aux noms rigolos (coupelles à supra émissivité). Et un discours particulièrement pontifiant. On est ici en plein dans une version bien caractéristique : le “chercheur” hors sentiers battus qui a rejeté l’ordre établi (probablement trop compliqué à aborder) et a inventé ses propres théories (beaucoup plus facile pour faire rentrer ce que l’on veut). Dans le cas de Rehdeko, le concept est poussé très loin avec des mises en œuvre, des justifications, des méthodes de mesure et des preuves en opposition frontale avec la science conventionnelle.
Était-ce un coup marketing pour flatter les propriétaires qui veulent ne pas faire partie du troupeau bêlant des amateurs normaux ? Était-il sincère ? Probablement les deux. L’appartenance à une élite, ceux qui savent car leur ouïe est très supérieure, est récurrent dans le monde audiophile. Ce sont aussi les plus crédules, aveuglés par leur pseudo-supériorité particulièrement bien entretenue quand ils font des réunions entre eux (voir la vidéo des audiophiles d’Athènes pour avoir une idée). Et ce d’autant plus que le propriétaire est fortuné. Rehdeko est parfait pour cette cible : un discours bien cinglant avec des affirmations bien trempés rejetant à peu près tout ce qui existe, le tout distillé par une musicien virtuose à la langue bien pendue. Le Dussert-Gerber de l’enceinte.
Pour illustrer le personnage, excellent exemple pour s’entrainer à l’analyse des pseudo-sciences et du vaste monde du Grand n’Importe-Quoi, la matière est abondante. Je ne vais pas passer en revue toute l’œuvre, mais néanmoins quelques concepts clé valent le coup :
Commençons tout d’abord par les brevets.
Impressionnant non ? Argument récurrent, la présence de brevet a toujours été un plus pour justifier son produit en lui donnant une légitimité. Bien que le brevet n’impose pas en lui même que le produit fonctionne, il conserve une aura non négligeable. Les documents de Rehde fournissent la référence d’un brevet international, à propos de traitement de membranes, un des piliers de sa démarche. Pour résumer, le brevet vante les mérites d’un traitement à base d’imprégnation de vernis cellulosique en différentes configurations (annulaire, radiale…). A l’époque, les moyens d’améliorer les comportement des membrane était extrêmement riche, jusqu’à obtenir des versions à corrugations super tordues ou des matériaux exotiques. La où ça devient intéressant, c’est la petite phrase suivante :
“With loudspeakers of the present invention, an acoustic response band is obtained which is accurate and audible from a power input of 25 milliwatts whereas with good quality loudspeakers of the previously known type, 3 to 5 watts must be applied to obtain an acoustic pressure of the same intensity”
Ce qui donne en français :
“Avec des haut-parleurs de la présente invention, une bande de réponse acoustique précise et audible est obtenue à partir d’une puissance de 25 milliwatts alors qu’avec des haut-parleurs de bonne qualité du type précédent, 3 à 5 watts sont nécessaires pour obtenir une pression acoustique de même intensité”
Voila qui est tout bonnement incroyable : dit autrement, un haut parleur conventionnel avec un traitement de membrane Rehdeko (car le HP lui même n’est pas impacté par le brevet) voit son rendement augmenter de 20 à 23 dB et ce grâce à du vernis cellulosique ! Ce qui prouve bien que l’on peut écrire à peu près n’importe quoi dans un brevet…
Petites remarques sur la fameuse image étalant pléthore de brevets de toutes sortes : pourquoi y -a-t-il 5 pages du brevet américain, si ce n’est que pour remplir ? Si il y avait autant de brevets que cela, pourquoi n’y a t-il pas que les entêtes en français , et éventuellement leur pendant étranger ? Je pencherais (mais ça n’est qu’une impression) que l’on ne voit qu’ un seul et même brevet (plus un additif) dans toutes les langues avec plusieurs pages, histoire de faire riche…
Voyons un petit peu le fameux document “Quand le son devient Art“
Ce monument est tellement riche que je me demande bien par quel bout le prendre. Globalement, c’est une ode à l’Ignorance dans toute sa splendeur.Tout est prétexte au ridicule et au total manque de compétences sur le sujet. Cela donne vraiment l’impression que la science est trop difficile à aborder, donc on l’écarte d’un revers de main et on y installe une construction intellectuelle simpliste, naïve et prétentieuse , même si elle est en totale contradiction avec les bases élémentaires de l’acoustique. La richesse étant telle, je vais juste prendre quelques exemples au hasard :
* Une grande partie du document est orientée sur les sempiternelles considérations générales sur les instruments, leurs niveaux, les impressions subjectives et des rapprochements hasardeux avec des données “techniques” . Exemple : un son à peine audible d’une variation de pression de 19 10. A moins d’avoir inventé une nouvelle unité, j’ai quelques doutes. Les gourous aiment bien avoir leur petits chapitres philosophiques d’introduction pour amener leurs conclusions dès le départ par des généralisations abusives à toutes les phrases. Ces parties ne sont pas intéressantes en soi, elle ne servent qu’à poser le décor et l’ambiance : “Les autres n’ont rien compris et leurs résultats sont catastrophiques” . Et aussi à montrer à quel point on est plus malin que les autres parce que l’on joue de la clarinette (pour vous dire comme je m’y connais).
* Le chapitre sur la pression acoustique et le déplacement d’air est un monument d’ignorance et d’incompréhensions sur la propagation des ondes en général. La, je ne vois qu’une chose à faire, prendre un vrai livre d’initiation à la physique élémentaire et faire quelques efforts. Il y apprendra que souffler sur un micro n’est pas équivalent à ce que fait une membrane d’un HP. Enfin, bon, c’est tellement énorme que je comprends même pas que l’on puisse s’y attarder.
* La confusion entre courant d’air et ondes est l’argument massue sur la qualité de ses enceintes dans le grave. Les membranes ne bougent pas car elle sont plus occupée à faire du son qu’à faire du vent. Et si c’était simplement parce que les HP ne font pas de graves du tout ? C’est ce que je suspecterais, et à mon avis je dois pas avoir tout à fait tord… Sa théorie sur les traitement qui enlève les grands débattements est tellement inouïe qu’elle renouvelle au passage tout le pan des théories des sources émissives. Bon, bien sur, on va passer sur le traitement multi-tout qui en plus supprime les déphasages des suspensions, qui supprime l’utilité de filtrages (même si c’est peut-être l’argument qui soit le moins délirant), qui régule l’impédance, ou qui augmente la sensibilité. C’est un miracle qui, en plus , revisite la mécanique des matériaux.
* Ce qui m’intéresse ici, c’est sa vision des mesures “conventionnelles” (Maaaaaaaal) contre ses propres mesures maisons (Bieeeeeeen). Vu les principes appliqués aux enceintes, il est certain que les mesures traditionnelles ne vont pas être flatteuses. Plutôt que de se dire “et si mes enceintes avaient un problème ? “, il est beaucoup plus rapide de jeter aux orties toutes ces méchantes mesures avec un bon discours bien martelé. Sa vision anthropomorphique des choses est assez touchante, bien qu’elle soit assez courante dans les esprits. L’exemple le plus classique est la notion de complexité du signal : une sinus est beaucoup plus facile à reproduire que de la musique. La mesure de la courbe de réponse en fréquence glissante demande à l’enceinte de reproduire UNE fréquence à la fois, chose qui est facile. Par contre un bruit blanc, avec toutes les fréquences en même temps, c’est beaucoup plus difficile. On voit bien ici sa totale ignorance des principes de base du traitement du signal et cette vision naïve du signal plus compliqué aux yeux qui est plus compliqué pour l’enceinte. Pourquoi alors, une mesure de la bande passante en MLS (une sorte de pseudo-bruit blanc) fournit le même résultat qu’une mesure en sweep ? Cette notion de bruit blanc chère à Rehde, nous allons la retrouver un peu partout, avec des mesures dont il n’a pas compris le fonctionnement réel.
* Rehde a l’impression d ‘avoir inventé une nouvelle mesure : la courbe d’harmoniques grâce à des filtres étroits dont il fait balayer la fréquence centrale, sans vraiment décrire la manière pratique exacte de la prise de mesure (dont je suspecte une difficulté assez grande pour obtenir des résultats cohérents et reproductibles). En fait, il n’a fait que redécouvrir un grand classique : la transformée de Fourier et le spectre en fréquence. Ignorait-il que c’était une mesure connue et classique même à l’époque ? Ce serait indigne pour un expert de la sorte ! Non seulement cette mesure n’a absolument rien de nouveau, mais en plus il affirme que ses enceintes passent ce test haut la main ! Le problème c’est que ces mesures sont plus difficile à lire car les différences sont beaucoup plus discrètes. Mais une superposition des deux graphiques publiée est éloquente : son spectre n’est pas respecté et est analogue à ce que l’on obtiendrait avec une enceinte quelconque. pourquoi n’a-t-il jamais publié de mesures de la sorte sur des enceintes “conventionnelles” , histoire de comparer ?
* Autre mesure soit-disant supérieure : la mesure par des signaux carrés. Rien de nouveau ici non plus, mais les fabricants rechignent à la publier. En effet, dès que l’on a un filtre qui traine, les signaux carrés partent en sucette. Mais Rehde contourne quand même un peu le truc en faisant des mesures toutes proches du HP de graves non filtré. Pour ceux qui le peuvent, essayez de faire ce style de mesures sur un HP qui ne présente pas de fractionnement marqué et vous obtiendrez… des beaux carrés ! J’avais été étonné par exemple par la propreté des carrés sur un JBL 2231A . En gros, ces mesures ne montrent pas grand chose, car les harmoniques nécessaires au carré sont souvent enlevées par un futur filtrage. Par ailleurs, un HP à fort fractionnement donnera un carré pourri qui ne prouve seulement qu’il ne sera pas bon dans le haut, la ou il ne sera pas utilisé de toutes façons. La où mes doutes commencent, c’est lorsque l’on regarde de plus près ces carrés publiés. Il sont peu lisibles, malgré les différentes sources. Néanmoins quelques détails me font fortement douter de leur véracité. Par exemple, il semble que les flancs à 100 Hz sont plus penchés que ceux à 1115 Hz par exemple, chose qui est absolument impossible. Les carrés à 5300 Hz sont aussi penchés que ceux à 1420Hz (alors qu’ils devraient être 4 fois plus obliques vu que la largeur des carrés sur l’oscillo est à peu près analogue). Illogique aussi. Quand on essaie de calculer la vitesse de balayage de l’oscilloscope en fonction des durées périodes et de la fréquence, on tombe souvent sur des valeurs totalement fantaisistes (celui à 100 Hz est assez évident). Aurait-il aussi fabriqué des oscilloscope avec une base de temps à graduation exotique ? Personnellement, je pencherais pour des carrés bidons, mais ça n’est qu’une impression, particulièrement forte à cause des incohérences entre les vues et ce qui est écrit. Ceux qui ont déjà fait des mesures sur signaux carrés savent qu’en fait, ça n’est qu’une mesure sur échelon tronquée plus ou moins vite. Faire varier la fréquence ne fait que montrer ou cacher les parties sur les temps ultérieurs et ne change en rien les parties communes au démarrage. Passer à des fréquences supérieures permet de zoomer sur le départ avec un oscilloscope, chose que l’on aperçois pas vraiment sur les mesures de Rehdeko ou les carrés semblent tous à peu près pareils, chose quasi impossible, sauf quand les carrés n’ont aucun défaut.
* La réfutation sur “belle courbe=belle enceinte” est une stratégie pour faire passer le fait que ces enceintes ont des courbes de réponse toute pourries. Si dans l’absolu, une courbe plate n’est pas suffisante pour avoir un bon résultat, elle est nécessaire. C’est une loi de base fondamentale, issue de la théorie de Fourier. Cette partie est une démonstration absolument énorme de l’ignorance sur le sujet en affirmant carrément le contraire des fondements prouvés et incontournables de Fourier et ses outils. Ses laboratoires ont observé le contraire : des carrés (et donc des harmoniques) respectés et une courbe non linéaire. Un miracle ! Si ses héritiers pouvaient reproduire ces résultats, ils sont bon pour le million dollars challenge de James Randi, car on assiste la à un effet paranormal. Ce qui permettrait de relancer la production ! Soyons sérieux, soit il a interprété comme ça l’arrange des résultats, soit il s’est gouré, soit il ment. Pour donner une idée à quel point il imagine et humanise les choses dune manière naïve, il suffit de lire le petit bout en fin de chapitre de la page 14 sur les amplificateurs (statiques) et haut-parleurs. C’est typique de ‘l’assignation d’un comportement de libre arbitre et intelligents aux objets inanimés’. Ce style de perception est courante dans les milieux subjectiviste.
* Les tentatives d’explications personnelles des “résultats” entre courbe de réponse et respect des harmoniques est un morceaux d’anthologie ou il n’y a finalement aucune explication à part des espèces de rapprochements entre orchestres, zones de fréquence avec, grand classique, un petit passage chez les courbes de Fletcher. Si il pouvait comprendre qu’une enceinte avec les courbes de Fletcher sonnerait n’importe comment, ça serait une avancée. Les instruments de musique ont eux aussi une courbe de réponse de ce genre ? Les confusions sont totales, les mots me manquent.
* Pour finir (y aurait des dizaines de pages à faire) , ses fameuses mesures en bruit blanc. Il n’a pas compris que des mesures d”une grandeur sur un intervalle de fréquence va la moyenner sur cet intervalle. C’est un simple lissage, effet que l’on voit effectivement sur les mesures qu’il publie. A part de ne rien apporter comme information pertinente, je serais curieux de voir d’autres enceintes sur ces mesures. Je suis quasi sur quelles seront… identiques par le principe même. Évidement qu’il va avoir des basses avec ce système vu qu’il va mesurer de l’énergie dans les fréquences du dessus qui, elles, existent. Si au moins il avait utilisé des intervalles variant logarithmiquement, on commencerait à voir un petit quelque chose, mais comment voir du détail dans les basses avec une largeur de bande de 31.6 Hz (qui en pratique est beaucoup plus grande que cela) ? Comment faire des conclusions idiotes sur des mesures ineptes ? J’espère que tous les lecteurs voient le grotesque de la situation leur sauter aux yeux ! Courbe d’impédance, même combat : lissage. Effectivement, le comportement utilisant ses méthodes de mesure n’est plus le même, mais pas pour les raisons qu’il imagine…